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La Cène aux JO, pourquoi les chrétiens ont été choqués ?

Bannière de l'article sur la Cène et la cérémonie d'ouverture des JO

Après une semaine de polémique, retour à froid sur la cérémonie des JO et pourquoi, du point de vue des chrétiens, le traitement de la sainte Cène a été choquant lors de la cérémonie d’ouverture des JO.

Vendredi 26 juillet dernier s’est déroulée la cérémonie d’ouverture des JO. Je l’ai trouvée très réussie, je m’attendais à du « mouais », j’ai eu du « incroyable ». Sauf pour disons… une petite réserve après une heure et quart de spectacle, lorsque le tableau de La Cène de De Vinci a été représenté. Là je me suis dit « ah, ça va faire débat les croyants vont mal le prendre, malgré la sobriété, ils vont trouver ça irrespectueux ». Et c’est exactement ce qu’il s’est passé ! J’ai donc décidé, à froid, de récapituler l’histoire, pour essayer de comprendre pourquoi probablement personne n’a voulu insulter, mais que c’est quand même c’est quand même ce qu’a ressenti une partie de la communauté chrétienne.

Pour le contexte et ceux qui ne me connaissent pas, je suis un homme blanc cis-hétéro. J’ai été élevé dans la tradition catholique, suis baptisé et allé aux enfants de chœur, catéchisme puis ensuite à l’aumônerie jusqu’en terminale. Peu après, je me suis posé réellement la question : attends, j’y crois moi à tout ça ? La réponse était non, j’ai donc arrêté toute pratique religieuse. Mon histoire n’est pas importante, retenez simplement que même si je ne suis pas croyant, j’ai reçu cette éducation et je suis toujours en contact avec des personnes croyantes, ma famille en premier lieu. Cela me fait naturellement entendre des points de vue des deux côtés, donc j’ai eu des échos très clairs de croyants sincèrement choqués et persuadés que leur religion avait été insultée. Alors qu’en fait, à froid et après avoir visionné à nouveau les images, écouté les différents partis et réfléchi à la question, je n’ai pas vu grand chose. Et comme d’habitude, chaque parti accuse l’autre des pires intentions. Mais je vais développer, j’espère que ça sera plus clair.

Premier tableau polémique de la cérémonie
Contrairement à la fresque de De Vinci, mais à l'instar de la peinture de Bijlert, ici, Leslie Barbara Butch N'est PAS le centre d'attention des figurants.

Le passage de la Cène qui fait débat dans la cérémonie des JO

Le passage en question se trouve vers 1h53m20s de la rediffusion sur France 2. Juste après Rim’K, nous avons 30 petites secondes d’un plan légèrement en dezoom, avec entre autres des drag-queens/kings autour d’une table. La DJ Leslie Barbara Butch, au centre, porte une coiffe qui fait très auréole. Même si le commentaire de De La Housse ne l’avait pas précisé, l’angle de vue fait tout de suite penser à La Cène, la peinture murale de De Vinci pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan. En tout cas pour moi c’était évident, parce que je n’ai pas une culture immense en peinture, et que c’est la seule représentation que je connais avec des gens autour d’une personne portant une auréole, le tout devant une table. Les personnes sont immobiles, dans des positions complètement neutres qui ne reprennent pas celles de l’œuvre. C’est important pour le coup, quitte à référencer, autant le faire… à fond ? Mais alors peut-être qu’on est tous allé trop vite ? Est-ce qu’il y a une autre peinture qui reprend les mêmes angles de vues, avec là aussi une auréole sur le personnage central ? Bingo : Le festin des dieux par Jan Harmensz van Bijlert, et l’auréole est celle d’Apollon, dieu Grec du soleil. Trois éléments me font penser que c’est effectivement ce nouveau tableau et non La Cène qui est représenté :

  • La prestation de Philippe Katerine en Dionysos une vingtaine de minutes plus tard au même endroit, qui ne laisse plus aucun doute qu’à ce moment précis c’est bien les olympiens. Peut-être donc que ça l’était depuis le début ?
  • Thomas Jolly, qui a créé la cérémonie, a dit sur BFMTV qu’il s’agissait du tableau du Festin des dieux et non de la fresque représentant sainte Cène. Même si on peut imaginer qu’il a rétropédalé devant la polémique, c’est quand même la personne la mieux placée pour nous expliquer son propre spectacle. Il explique aussi très clairement n’avoir jamais voulu offenser quiconque.
  • Je trouve que le tableau de Bijlert colle mieux à la situation. C’est le thème de la festivité et selon le musée où est représenté le tableau, celui-ci représente un banquet lors du mariage de Thétis et Pélée. Dionysos n’a aucun équivalent sur la fresque de La Cène, c’est aussi le dieu du vin, et le père de Sequana, déesse des fleuves, or les artistes étaient littéralement sur le fleuve de Seine. Les dieux de la peinture sont les dieux de l’Olympe, pour une cérémonie des jeux… olympiques. Honnêtement, ça colle mieux pour le tableau de Bijlert que pour la fresque de De Vinci ! En fait, la disposition à 1h53m20s s’explique aussi très bien par le fait que ça enchaîne sur un défilé de mode.

Je dois quand même préciser quelque chose qui peut avoir son importance dans le contexte : apparemment, Le Festin des dieux serait déjà une reprise de La Cène, mais avec des dieux de mythologie pour contourner la censure de l’époque. Ce n’est pas expliqué sur le site du musée (dans le lien plus haut), mais ça serait affiché en pancarte à côté du tableau. Quelqu’un a pris une photo.

Cette information n'est pas sur le site du musée Magnin, uniquement sur ce panneau dans le musée. Photo prise par @RoumainDuris et publiée sur X.com.

D’autres personnes interprètent des liens entre la sainte Cène (pour faire très simple pour les non-croyants, Jésus y partage notamment vin) avec Dionysos qui est le dieu du vin par exemple. 

Par transitivité de la relation d’ordre, pour certains croyants, le problème n’en serait donc que reporté. Bon, je pense que ça va quand même trop loin et qu’à part des experts en peinture de cette époque, c’est vachement plus logique de ne voir qu’une peinture païenne sur le thème de la festivité dans l’olympe. Le public des JO est en immense majorité incapable de faire cette double lecture, donc ce n’était pas du tout le problème en ce qui nous concerne.

Donc de mon point de vue final, c’est bien le tableau Le Festin des dieux qui est repris, et non l’événement biblique de la sainte Cène. Mais est-ce vraiment si important ? Après tout, si beaucoup de personnes, moi y compris, ont supposé de prime abord que c’était La Cène, déjà parodiée un million de fois, c’est avant tout parce que ça y fait penser ! Je ne peux pas en vouloir aux chrétiens, ça ressemble vraiment à La Cène, qui soit-dit en passant, est l’un des moments les plus importants de La Bible. Top 3 facile. Et ce qui importe dans une œuvre, ici la cérémonie d’ouverture des JO, c’est autant ce que l’auteur a voulu dire que ce que les spectateurs vont spontanément comprendre. Et tout le monde a d’abord vu La Cène.

Pourquoi il y a tant de débat autour de la fresque de la Cène ?

Ainsi, je repose la question autrement : presque tout le monde a reconnu La Cène de De Vinci. Sur cette impression de parodie, qu’est-ce qui a tant choqué les croyants ? L’Église intente parfois des procès pour blasphèmes, dont certains sont gagnés, comme ici pour une marque de chips en Italie. Mais la fresque de La Cène a été peinte, repeinte, parodiée et reparodiée des dizaines et des dizaines de fois par des artistes de tous horizons. Ça choque rarement autant. Dans ces parodies, les personnages reprennent parfois strictement les mêmes gestes, mais parfois font des gestes qui pourraient être mal pris, ce qui n’était pas le cas pour la cérémonie des JO. On a même des parodies de South Park, et ce ne sont clairement pas des enfants de cœur.

Au contraire, pour des drag-queens ou drag-kings, communauté très extravagante, spectaculaire, paillettes et extra-extra, connue pour en faire volontairement trop dans le but de se démarquer d’une interprétation trop littérale, bah là iels ont fait super soft ! Aucun mouvement déplacé, obscène ni provocateur. Je trouve justement qu’iels ont traité l’œuvre picturale avec beaucoup de respect, au seul moment où on peut reconnaître une symbolique religieuse. Faute d’une vraie provocation, le problème n’est pas ce que font les drags. Le problème c’est la relation entre la communauté LGBTQIA+ et l’Église. Il y a clairement des difficultés de communication et de compréhension entre la communauté LGBTQIA+ de manière générale, et les chrétiens, ou tout autre religion d’ailleurs (ce qui explique qu’il n’y ait pas que des chrétiens qui aient été choqués). Tout le monde le sait, y compris les organisateurs de la cérémonie. Mais malgré tout, ce sont des drags qui ont été choisi.e.s pour être sur scène lorsque le monde entier reconnaît La Cène. Même si les organisateurs ne considèrent pas les drag-queens/kings de manière péjorative, et donc n’ont pas supposé que leur présence serait problématique, ce n’est pas la position de l’Église comme chacun sait.

Il vient de là le sentiment d’insulte ou de provocation. De leur point de vue, les drag-queens/kings, dont l’Église a une position très claire et ferme, est une ligne que les deux partis ont conscience de ne pas devoir franchir, donc “Chacun fait ce qu’il veut, du coup vous pouvez faire du drag sans problème, mais pas avec les symboles les plus sacrés de notre (ou de n’importe quelle) religion.”

S’il s’agissait d’un spectacle privé, il n’y aurait sûrement pas eu de grand débat mais il s’agit ici d’une représentation officielle de l’État retransmise en direct à la télévision et visionnée par plus de 22 millions de téléspectateurs en France. Ainsi, l’Église entend un tout autre message : l’État, par le biais de la ville de Paris et les ministres qui composent le conseil d’administration du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques, est sorti de son rôle neutre pour prendre parti, brisant la laïcité au plus haut niveau et mettant de l’huile sur le feu. Ça signifie : vos croyances, on s’en fout. Tu m’étonnes que les communautés religieuses prennent mal le message.

Je précise que ce n’est pas mon avis, mais que je comprends leur position qui est très prévisible. C’est pas à moi, non-croyant, de décider de comment traiter des symboles religieux. Moi je pense qu’il n’y a pas eu de blasphème (et je ne rentre même pas dans la question du droit au blasphème en France). Mais si autant de croyants pensent qu’on a franchi une limite pourtant claire, il faut au moins prendre leur ressenti au sérieux, pour le respect des différentes communautés. Et essayer de comprendre. Surtout dans un pays comme la France, où chaque religion doit être respectée. À chaque polémique de ce genre, le message envoyé aux croyants est qu’on ne respecte pas leurs limites.

Cene_JO_Medley_Tableaux
L'arrivée de Philippe Katerine dissipe le doute quant au tableau présenté à ce moment.

Un peu de calme sur la Seine des JO

Je suis peut-être naïf mais il me semble évident que Thomas Jolly n’est pas un affreux manipulateur provocateur voulant insulter l’Église. C’est trop facile d’imaginer de mauvaises intentions à chaque fois qu’un événement ne va pas dans son sens, mais dans celui du mouvement global de la société. Et si jamais il y a eu des sortes de « contrôles laïcité » lors de la conception de la cérémonie, ils ont peut-être juste été validés parce que le tableau est celui du Festin des dieux (qui, encore une fois, colle bien mieux à l’occasion que La Cène). Thomas Jolly aurait simplement gaffé en laissant une ambiguïté qui lui a valu la colère des chrétiens. Et ça aurait pu être évité en enlevant toute ambiguïté, je sais pas, un panneau « Olympie » sur le pont aurait suffit pour trancher net avec la représentation biblique au profit de la peinture de Bijlert. 

L’idéal pour notre exemple serait que la relation entre la communauté LGBTQIA+ et Église s’améliore : même si la position officielle de l’Église et des organisateurs les uns envers les autres n’est pas haineuse, la transphobie dégouline quand même d’une partie des retours. Ces derniers m’inspirent de la pitié et du dégoût.

Mais il n’y a pas qu’eux. Le sujet fondamental qui en ressort, c’est que la communauté chrétienne, mais aussi les communautés d’autres religions, se sentent de moins en moins à leur place en France. Leurs propres symboliques sont reprises par des communautés avec lesquelles le dialogue est réellement compliqué. C’était les drag-queens/kings, mais ça aurait pu être sur un autre sujet. Au nom de la laïcité, ils estiment que les représentations religieuses ne devraient pas être reprises par l’État, de quelque manière que ce soit, surtout un symbole aussi important que la sainte Cène, encore moins au nom de tous les français et avec leurs impôts.

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