Comment être une région performante sur League of Legends ?
Castor Orange | Publié le |
Après les déboires de l’Europe aux Worlds de League of Legends, on peut se demander ce qui fait la force d’une région à l’international.
Sur les 16 équipes participant au Main Event des Championnats du Monde 2021 de League of Legends (LoL), six viennent des ligues occidentales majeures. Seules deux passeront les phases de poule et aucune ne franchira les quarts de finale, MAD Lions et Cloud9 s’inclinant sèchement 0-3 face à des équipes coréennes. L’exemple du célèbre MOBA, particulièrement révélateur, n’en est qu’un parmi tant d’autres. Dès que l’Asie, et tout particulièrement la Corée ou la Chine, s’intéresse à un jeu, il ne faut que quelques années pour les voir arriver au sommet. Cet article n’a pas vocation à analyser les choix ou erreurs stratégiques en jeu. L’objectif ici est de donner des éléments de réponse à pourquoi un tel écart semble se créer. Quels sont les différents facteurs qui construisent une grande nation d’e-sport ?
Et bien pour y répondre, il faut commencer par se pencher sur un domaine qui a fait ses preuves sur la durée : le sport.
Pour performer, mieux vaut être une nation riche
Le premier indicateur est le Produit intérieur Brut (PIB) qui est corrélé aux performances d’un pays aux Jeux Olympiques. En effet, si un PIB élevé ne garanti pas nécessairement de bonnes performances aux JO, pour atteindre le Top 10 il vaut mieux avoir de solides revenus. Cet effet se retrouve dans le cas de l’e-sport. Pour le constater, il suffit de regarder les équipes des phases de poules des Worlds.
Mais pourquoi donc une telle relation entre le PIB et les performances sportives d’un pays ? De fait, courir ou jouer au football ne nécessite qu’un faible investissement de départ là où jouer aux jeux vidéo requiert une machine pouvant les faire tourner. Au-delà de l’accessibilité de départ, des fonds permettent de développer des infrastructures et de donner du « temps libre » aux concitoyens pour s’adonner à leurs loisirs sportifs ou vidéoludiques. Un pays « riche » est un pays qui donne le temps et les moyens à ses habitants de profiter de leur temps libre. Les gouvernements peuvent même aller plus loin en valorisant directement certains domaines.
En Chine, l’intervention de l’État a été une bénédiction pour l’e-sport lui permettant un développement fulgurant. La ville de Hangzhou, au sud de Shanghaï, a dépensé plus de 247 millions d’euros pour ouvrir en novembre 2018 un immense complexe de 366 000 m² consacré à l’e-sport. Tous ces investissements permettent une véritable professionnalisation du milieu ainsi qu’une accessibilité accrue. Pour revenir au parallèle avec le sport, pour qu’un pays performe aux JO d’hiver, il faut d’une part qu’il ait de la neige et d’autre part des installations facilitant la pratique comme des téléskis ou des télésièges. Dans le cas de l’e-sport, nul besoin de téléskis, mais bien d’une population équipée d’ordinateurs ou de consoles et d’une connexion internet stable.
la démographie aux racines du succès
Un autre facteur déterminant dans le succès d’une nation aux JO ou aux Worlds de League of Legends est la démographie du pays étudié. Seule, cette donnée n’indique pas grand-chose puisqu’on aurait alors des pays comme l’Inde ou le Brésil parmi les meilleures équipes du monde. La démographie n’a de sens que si elle est couplée au PIB. Comme énoncé précédemment, il faut le temps, les moyens et les infrastructures pour développer ces activités.
Mais dans ce cas, qu’apporte la démographie à la compétitivité d’une nation ? Et bien c’est là le grand point de bascule entre la Chine et l’Occident. Un pays avec une forte démographie, et avec les infrastructures adaptées, aura proportionnellement plus de chances de déceler le petit génie de demain. Plus de joueurs signifie une hausse du niveau parmi les meilleurs joueurs, les 0,1% devant sans cesse s’améliorer pour tenir tête à la concurrence. Difficile donc de lutter sur ce point face au géant asiatique. L’Europe est néanmoins dotée d’une quantité importante de talents proportionnellement à sa population de joueurs. Cependant, un riche vivier plein de potentiel reste encore trop peu exploité.
Pour un sport qui ne fait pas de différenciation physique comme les échecs, donner l’opportunité aux femmes de jouer et d’exister sur la scène compétitive est un atout de poids. Les différentes études sur le sujet ont montré que les femmes ont des résultats similaires aux hommes lorsque l’on prend en compte la proportion qu’elles représentent au sein de la masse de joueurs. Il s’agit encore et toujours de la même histoire : si l’on prend un échantillon aléatoire de 10 000 joueurs et un de 10 joueurs, statistiquement les meilleurs joueurs seront dans le premier groupe. En offrant les mêmes conditions d’apprentissage aux femmes et aux hommes, les candidats potentiels passent du simple au double. Et pour y arriver, il s’agit cette fois d’une question d’éducation et de culture.
Le rôle décisif de la culture
Positionnée à la 10e place en termes de PIB et avec une population approchant les 52 millions d’habitants, la Corée du Sud est derrière la France sur ces deux critères. Pourtant, en termes de niveau de jeu sur League of Legends, les deux pays n’ont rien à voir. Car oui, la culture joue un rôle déterminant dans les performances d’une nation dans un domaine. Et cela commence par la reconnaissance dudit domaine et de la carrière qui en découle.
Pour illustrer tout cela, faisons un nouveau parallèle sportif avec le cas du tir à l’arc. Lors des JO 2021, les archers coréens ont remporté quatre médailles d’or sur les cinq possibles. Cette domination s’explique par l’existence d’un système bien organisé et très lucratif pour les 140 professionnels en activité selon la Fédération sud-coréenne de tir à l’arc (KAA). Les équipes professionnelles sont possédées par des entreprises et des collectivités locales qui n’hésitent pas à verser de généreux salaires. En rendant le tir à l’arc attractif, la Corée peut se permettre d’effectuer des sélections très strictes, indépendantes des résultats antérieurs des candidats.
Le même phénomène existe sur les jeux vidéo. La culture des jeux vidéo en Corée est aujourd’hui bien connue, notamment à travers l’emblème que sont les cybercafés permettant de rendre les jeux toujours plus accessibles. Si cette culture a mis plus de temps à s’implanter en Chine, elle est dorénavant bien présente avec près de 50% des Chinois jouant aux jeux vidéo plus de six heures par semaine. En Occident, les jeux vidéo sont de plus en plus acceptés par le grand public, mais les perspectives de carrière demeurent réduites. Les rares débouchés nécessitent généralement de passer par des équipes amateures, des salaires trop souvent précaires, une reconnaissance difficile… Tout un chemin de croix qui en décourage plus d’un. Cependant, avec l’émergence des ligues régionales (LFL, Prime League etc…) soutenues par les grandes équipes, un semblant d’intermédiaire s’est créé. Il est dès lors possible de croire en une meilleure structuration de la scène compétitive et des carrières construites sur la durée.
Que manque-t-il à l'europe ?
Ces trois facteurs sont indissociables les uns des autres que ce soit dans le sport ou en e-sport. Pour être une nation compétitive, il faut d’une part le maximum de candidats potentiels et d’autre part, leur donner les outils nécessaires pour développer pleinement leurs compétences. La culture e-sportive agit comme un catalyseur favorisant les investissements et attirant un public sans cesse croissant : l’effet boule de neige est lancé ! En bout de chaîne, les équipes peuvent alors puiser dans un vaste vivier de joueurs et de membres du staff aux compétence hors normes.
Cet écart est certes observable entre les équipes occidentales et celles de Chine et de Corée, mais le même constat peut être fait avec les équipes venant de régions mineures. Et bien souvent, un des points énumérés précédemment permet d’expliquer les différences de niveau. Cependant, tout cela est loin d’être immuable. À l’heure où la Chine durcit ses restrictions vis-à-vis des jeux vidéo, son avenir e-sportif semble bien trouble. Côté Europe, les jeux vidéo sont de plus en plus reconnus et pratiqués, les structures sont de mieux en mieux organisées pour accompagner les joueurs dans leur carrière… Bref, les équipes LEC souhaitent renouer avec le titre d’ici quelques années et comptent bien s’en donner les moyens.
Laisser un commentaire